Trois voix contre une loi inhumaine
(extrait de Libération n° 8222, 13/14 octobre 2007)
Michel Piccoli
comédien
"Je n'en peux plus depuis longtemps de ce monsieur qui a été notre ministre de l'Economie, de l'Intérieur, et qui est aujourd'hui notre Président. Des pétitions, j'en signe depuis cinquante ans, j'ai commencé par me prononcer au moment de la guerre du Vietnam. Déjà, à l'époque, on disait que c'était une honte qu'un comédien s'occupe de ce qui ne le regarde pas, que j'allais ruiner ma carrière. C'était déjà très comique à l'époque, mais monsieur Sarkozy doit savoir qu'en France, il n'y a pas que les chanteurs de la Concorde. Je ne supporte pas qu'on nous ait imposé ce ministère de l'Immigration. Qu'est-ce que c'est que ce flicage ?
Mais là, ces tests ADN impliquent que l'on se mêle de l'amour entre un père, une mère et leurs enfants, qu'ils soient les leurs biologiquement, ou qu'ils soient adoptés, c'est leur problème, on n'a pas à bouleverser leur histoire. De vrais pères, de fausses mères, mais qu'est-ce qu'on s'en fout ? Nicolas Sarkozy ferait mieux d'assouplir les conditions de l'adoption. Au lieu d'empêcher des enfants d'entrer, il devrait aider les parents qui veulent adopter à l'étranger. Quant aux déclarations de François Fillon sur le "détail", c'est pour moi l'apolitisme le plus honteux. Dire des choses importantes qu'elles sont un détail, c'est un procédé qu'on a déjà connu avec les camps de concentration. Fadela Amara a, elle, eu une réaction de femme ni pute ni soumise. C'est bien qu'on sorte de ce discours diplomatico-hypocrite."
Axel Kahn
généticien
"Je dis aux parlementaires : ne faites pas de caprices, retirez cet amendement. Il est inutile, il demeure néfaste. Thierry Mariani l'a dit lui-même, ce dispositif est devenu "une usine à gaz", les tests ne concernant qu'un nombre infime de personnes, une centaine peut-être par an. Il est néanmoins dévastateur au regard de notre définition, sociale, de la famille, car il indique la possibilité de réduire la filiation à une définition biologique.
Mais il y a plus, cette loi est inhumaine. Dans l'Afrique malheureuse, il y a des femmes généreuses qui adoptent des orphelins, survivants de massacres, de famines, d'épidémies. Ces tests ADN apprendraient à ces enfants qu'ils n'appartiennent pas au lignage de la mère qui les a adoptés, aimés, et qu'ils aiment. Ainsi, la République Française, dont la générosité a inspiré la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, enverrait à ces femmes un message d'égoïsme : si vous voulez rejoindre votre mari émigré en France, soyez prudentes, n'adoptez pas d'enfants.
Cet amendement déshonore la France."
François Goulard
député UMP du Morbihan
"Je suis contre cet amendement ADN. Je l'ai dit, je le répète. Mon engagement est public. Je trouve donc logique de participer à une manifestation qui réclame son retrait. Dimanche soir, il y aura sans doute plus de personnalités de gauche que de droite. Peu m'importe. La question dépasse largement les clivages partisans. Je pense qu'il est bon de montrer qu'il y a aussi des gens à droite, des hommes et des femmes attachés au respect des Droits de l'Homme. Je suis convaincu que beaucoup de parlementaires UMP n'ont pas osé exprimer une opinion défavorable, mais que, dans leur for intérieur, ils sont d'accord avec moi. Ancien ministre de la Recherche, je ne peux, pour ma part, qu'être sensible à la présence de nombreux scientifiques également hostiles à cette disposition. Le combat est aujourd'hui largement symbolique. L'amendement, sous-amendé deux fois, par l'Assemblée Nationale, puis par le Sénat, est inapplicable et vide de sens. Mais je fais de son retrait une affaire de principe et de morale politique."